Devant l’œuvre d’un maître, je ne connaissais jusqu’en 2015 que deux attitudes possibles : l’encensement ou la critique. Ces attitudes étant elles même bien évidemment déclinables en une palette de variations qui vont de l’adoration à la haine en passant par le fanatisme, l’amour, l’admiration, l’ignorance, le dédain, la détestation et autres émotions comme seul l’art peut en procurer. Un jeune Taïwanais m’a rappelé qu’il existait une troisième possibilité : la chute. Devant la nature morte Flower de l’artiste Italien Paolo Porpora (1617 – 1673) le jeune homme, certainement distrait par la forme étrange de l’entrejambe de la guide du musé de Taipei (cliché facile quand tu nous tiens), trébuche, se prend les pieds dans le cordon de sécurité et s’appuie sur la malheureuse toile qu’il perce…
Au moins, n’aura-t-il pas renversé son soda (un soda dans un musé… mais où va le monde ?) sur la malheureuse œuvre Renaissance estimée à 1,5 million d’euros avant l’accident.
Derrière cette anecdote introductive et muséale (si, si) se cache, cher lecteur, une humble demande. Celle de pardonner ma chute si d’aventure mon papier n’arrivait pas à faire honneur à l’une des plus belles œuvres de la NES : World Cup.
Flash-back… Berlin, Novembre 2007... Temps froid et gris (cliché facile quand tu nous tiens) un étudiant sur son lit, un dimanche après-midi.
Erasmus dans la capitale allemande j’y découvre les joies des soirées dans des boîtes de nuits aux baffles agitées de spasmes d’électro minimalistes et les comptoirs de bars où l’on enchaîne les shots de Jägermeister à l’endroit même où d’autres s’enfilent des rides de poudres blanches avant de disparaître dans les toilettes s’enfiler autre chose. « Kreuzberger Nächte sind lang » disait le poète. Les nuits sont longues (ou courtes je ne sais plus), les gueules de bois aussi.
Pour occuper ce qui ressemble à un jour entre deux nuits, je traîne sur Vivastreet à la recherche de la seule drogue douce que je connaisse. Au milieu d’annonces miteuses pour des rencontres glauques dans les quartiers déshérités de la capitale réunifiée, je trouve, sur cet ersatz allemand du BonCoin, une NES, ses manettes et ses quatre jeux. World Cup est l’un d’eux, il occupera bien plus que mes dimanches après-midi.
Développé par Technos, World Cup fait partie de la série Nekketsu Kōha Kunio-kun généralement abrégée Kunio (du nom de son héros principal) et mettant en scène une bande de lycéens bagarreurs dans diverses activités. Beat them all, balle aux prisonniers, basketball, hockey sur glace… Kunio et sa bande investiront tout un tas de terrains et de consoles de jeux durant les glorieuses années 90 et deviendront rapidement synonyme de violence fun et gratuite dans un environnement coloré et SD (super deformed). World Cup est l’épisode de la série dédié au football.
Un football largement remanié. Violent, rapide, généreux en buts et en tacles assassins. Une sorte de mix improbable entre le Beach soccer (5 joueurs par équipes), le rugby à 7 (contacts virils) et le foot volley (si, si). Bref, une surenchère sportive digne d’un commentateur sur RMC voulant absolument faire croire qu’il se passe quelque chose au Stade de la Source (Orléans, 8 000 places) un vendredi soir de Dominos Ligue 2…
Et le pire c’est que ça fonctionne. Tout comme un Guingamp – Lorient sur Radio Bonheur (« parles-en à ta sœur ») peut devenir le match le plus passionnant de la saison (surtout si le lecteur CD de votre autoradio est définitivement HS un soir de retour d’un week-end dans les Côtes d’Armor), World Cup devient par sa maniabilité hors pair et sa mécanique de jeu, la simulation de foot à laquelle même ceux qui détestent ce magnifique sport succombent volontiers.
Flash-back… Düsseldorf, Mai 2000 … Temps froid et gris (cliché facile quand tu nous tiens) trois petits garçons devant un écran de télévision.
Revenant tout juste d’une brocante, mes frères et moi nous empressons d’essayer ce jeu de foot qui aura été finalement le principal argument pour l'achat d’une cartouche comprenant en outre Mario et Tetris. A l'époque on trouvait des jeux NES à 5 Mark (soit 2,50€) et les Belges s'entendaient suffisamment bien pour prévoir d’organiser avec les Néerlandais un tournois de foot qui verrait la France championne d'Europe... Tout change...
Tournament Mode ou VS Match Mode, l’écran titre nous accueil de sa musique entraînante et annonce même la possibilité de jouer jusqu'à 4. Le jeu part sur d’excellentes bases. Vient ensuite l'écran du choix des équipes qui sont au nombre de 13 en mode tournois, 5 en Versus, et ont toutes leurs caractéristiques propres (notamment le fameux « super shoot » unique à chacune). A noter qu'en 1990 pour Technos, l'URSS est déjà la Russie mais que son drapeau n'est pas encore blanc bleu rouge...
Vous pouvez ensuite modifier la composition de votre équipe avant de choisir différentes stratégies de jeux. Hop hop hop ! Je sens que j'en perds quelques-uns. Ne craignez rien, nous sommes sur un jeu résolument arcade. Ne vous attendez donc pas à devoir élaborer des tactiques tarabiscotées à la manière d'un Cosmic Roger préparant sa prochaine partie de Football manager. Non, vos choix stratégiques sont au nombre de 9 (avouez que l'on fait plus fourni) et déterminent surtout la manière dont joueront vos coéquipiers. Nous abordons là l'un des points qui fait l'originalité de World Cup puisque tout au long de la partie vous ne contrôlez qu'un joueur. Les autres se déplacent comme ils le souhaitent en obéissant néanmoins à la stratégie arrêtée avant le match et aux ordres que vous leur donnez sur le terrain.
Capitaine de votre équipe, leader charismatique de vos troupes, guide suprême de vos ouailles, vous pouvez à tout moment demander à vos hommes de tacler, passer, tirer, frapper... et ceux-ci s'exécuteront sans broncher. De parfaits petits fonctionnaires qui, j'en suis certain, auraient eu leur petit succès en 1945 du côté de Nuremberg (et vous vous demandez encore pourquoi l'Allemagne est la meilleure équipe du jeu? Cliché facile...). Une petite fenêtre de dialogue en bas de l'écran vous indique, si besoin est, lequel de vos joueurs est le moins obéissant. Bien évidemment l'ensemble des actions vous est aussi permis et l'absence d'arbitre vous aidera grandement à défoncer vos adversaires à coup de tacles très virils (au point de laisser quelques hommes à terre) et à enchaîner les « super shoot ».
C'est là l'autre originalité du soft. Chaque nation a son propre tir spectaculaire et pratiquement imparable envoyé après un retourné acrobatique (A + B) une tête plongeante (direction + A + B) ou un certain nombre de pas effectués balle aux pieds (le nombre variant selon l'équipe). Que ce soit le ballon qui part vers l'arrière avant de filer vers le but adverse ou celui qui se déforme, voire se dédouble façon Olive et Tom, chaque « super shoot » (limité à 5 par mi-temps) vous sera utile pour venir à bout des 12 équipes adverses qui vous barrent la route jusqu'au titre mondial.
Flashback... Karlsruhe, 1994 ou 1995 … Temps froid et…
« _Dites donc George Abitbol de mes deux, on n'est pas dans La Classe Américaine là alors arrêtez un peu vos Flashback ! Ça en devient aussi lourd.
_Euh... oui, certes, excusez mois mais je... Je souhaitais évoquer ces madeleines de Proust que sont pour moi les terrain « glace » et « sable » du mode multijoueur… Comment en 2000, mes frères et moi nous sommes souvenus avoir déjà joué à ce jeu 5 ans plus tôt, lors d’un weekend chez des amis allemands, alors que nous ne savions même pas ce qu’était une console de jeu…
_Mais on s'en foot mon vieux (si, si, elle est nulle, elle est là et vous l'avez), parlez-nous du multijoueur si vous voulez mais arrêtez de nous emmerder avec vos souvenirs.
_Bon… et bien du coup Flashback, pardon... Frashforward... Mince je ne sais plus…»
Flashback… Paris, Décembre 2008, Soirée du 29, deux pauvres membres de [Nes Pas ?] se prennent la pétée du siècle dans un décor de film pour adultes.
Entre un billard en peau de pute et un jacuzzi, trône fièrement une petite télé, une NES et son adaptateur 4 joueurs. Il est temps de montrer à la face du monde ce qu’une année d’entraînement intensif à World Cup peut produire quand on décide d’y consacrer plus de temps qu’à ses révisions de « Méthodes quantitatives dans la recherche sur les conflits armés ».
60 – 1. Je ne me souviens plus qui étaient nos adversaires, je me souviens simplement du maillot sochalien de mon co-équipier et du terrain vague qui servait d’arène. Nous aurions pu choisir le gazon, la terre battue, le sable, le béton ou la glace, tous ayant leurs propres propriétés en termes de tenue de balle, mais nous avions privilégié le terrain plein de cailloux qui déséquilibrent les joueurs mais garantissent un nombre important de fous rires.
60 – 1. La subtilité quand on joue à deux par équipes à World Cup tient au fait qu’il ne peut y avoir qu’un seul capitaine. Le joueur 2 se retrouve donc relégué au rang d’électron libre et il vaut mieux avoir bien choisi sa composition d’équipe pour que celui-ci contrôle un joueur puissant et rapide. Les « super shoot » étant limités à 5 par mi-temps, seule une connaissance parfaite des mouvements des défenses adverse vous permettra d’enfiler les buts (les boules, les billes, les perles ?) aussi facilement que vous enfiler votre caleçon le matin (ou votre culotte, chacun fait ce qu'il veut)
Vous l’aurez compris, derrière ses graphismes mignons et sa prise en main instantanée se cache plus qu’un bon jeu de NES. C’est un vrai bijou de multijoueur et un jeu suffisamment profond avec tout un tas de petit secrets (les « super shoot » de l’équipe USA, l’Argentine immunisée sur terrain vague…) pour occuper le joueur seul.
World Cup est certainement le seul jeu que j’ai poncé dans tous les sens au point de finir champion du monde avec le Cameroun sur tous les terrains possibles (il faut dire que le système de mots passes permettant de reprendre le tournois juste avant la finale facilite grandement l’opération). La musique, excellente de bout en bout a longtemps été ma sonnerie de portable. Entraînant dans mon obsession pour ce jeu un camarade Erasmus, il nous arrivait même de jouer à deux sur un clavier de pc portable lors de certaines soirées révisions en bibliothèque…
World Cup a accompagné toutes ma vie de gamer et continuera longtemps à user mes pouces. Et le plus jouissif dans tout cela c’est que je suis loin d’être le seul. J’ai 4 manettes qui vous attendent, un immense sceau de verre pillé et j’vous prends tous les uns après les autres ! Préparez-vous à enfiler des…