Pignol not dead.
Another World
Delphine Software - 1992
Un autre monde... par Hebus San

Extras : Musique - Manuel TXT - Manuel PDF
A jeu exceptionnel titre exceptionnel. Et dans cette époque de la surenchère médiatique où la comparaison des valeurs est incontournable sans pour autant être représentative de quoi que ce soit, je trouve que le titre de ce jeu est d’une simplicité rare. Pas besoin d’en rajouter tout est là. Deux mots qui expriment par leur signification première la place de ce titre lors de sa sortie. Another World est vraiment d’un autre monde. Et autant s’en enorgueillir : un monde français.



Les plus jeunes ne connaissent certainement pas cette époque bénie où la créativité avait encore son mot à dire face aux contraintes implacables de l’économie de marché. Le jeu vidéo hésitait encore entre industrie et artisanat artistique, ce qui favorisait les projets sortant des sentiers battus. De plus, les limitations techniques des machines d’alors permettaient aux auteurs de se concentrer sur le concept, de privilégier le fond étant donné que la forme ne serait pas compliquée à finaliser.



Dans ce contexte très particulier sont nés deux légendes vivantes de l’histoire du jeu vidéo. Au même rang de prestige qu’un Shigeru Miyamoto, un Gunpei Yokoi ou un Nolan Bushnell se trouvent deux hommes qui ont marqué à tout jamais l’esprit des joueurs : Jordan Mechner et Eric Chahi. Le premier est l’auteur de Prince of Persia, le second d’Another World. Ces deux jeux ont le point commun suivant : au moment de leur sortie ils balayent techniquement l’ensemble du parc vidéoludique de leur époque tant leur supériorité et les remises en cause imposées par leurs concepts sont gigantesques. Et SURTOUT, ils sont les œuvres d’hommes seuls, ou presque. Another World est le bébé d’Eric Chahi. Réellement. Il a été aidé seulement pour la musique et pour le manuel du jeu. Point barre. Tout ce que vous voyez par ailleurs dans le jeu est de lui.



Alors dans le contexte actuel cela n’a plus grande signification. Les auteurs solitaires prolifèrent sur le net avec leurs créations flash ou java. Mais Eric Chahi a vendu son jeu. Et il en a vendu beaucoup, vraiment beaucoup. D’ailleurs vous en connaissez beaucoup des auteurs de jeux vidéo qui sont reçus au JT de 20h00 ? Non hein? Maintenant vous en connaissez un.



Mais je ne suis pas là pour faire l’apologie d’un homme qui n’est ni mon ami, ni mon voisin, et qui, si ça se trouve, pisse assis et aime la choucroute (horreurs). Mais parler d’Another World sans citer son nom relèverai d’un manquement grave à l’exactitude historique. Un peu comme la provence sans cigale ou un cochonnet sans boule, Another World n’est rien sans Eric Chahi, et le contraire n’est pas loin d’être vrai non plus .



Alors pourquoi ? Qu’est ce qui justifie l’un des plus gros cartons de l’histoire des jeux français, sinon le plus gros.



Tout d’abord un graphisme absolument somptueux. Nous sommes au début des années 90, et la principale accroche vient de là à l’époque. On s’arrête donc devant un jeu quand il nous interpelle visuellement. Là vous venez de prendre un placage en règle, tel un ¾ aile fidjien un peu fluet qui vient de prendre toute la 1ère ligne anglaise sur le cul alors qu’il filait sans perturbation prévisible vers l’en-but… AW colle une claque à toutes les maisons de développement du monde tant il est beau, mais surtout tant son animation humilie tout ce qui se fait partout ailleurs. Eric Chahi a l’idée de génie de faire un jeu en 2d mais avec des personnages tout en polygones et en vecteurs, ce qui attribue à l’ensemble une fluidité d’animation stupéfiante. Tout le monde reste bouche bée devant la grâce des personnages qui évoluent à l’écran. C’est réellement féerique et pour le moins inattendu. Il existe toutefois des gens qui ne le trouve pas beau, mais l’animation fait passer la pilule pour ceux qui n’aime pas les univers SF.



Justement parlons-en de cet univers. Entièrement imaginé par Eric Chahi, il est dans la droite ligne de ce qu’on s’attend à trouver dans Star Wars ou Star Trek. Le scénario est d’ailleurs un pur joyaux qui ne compte que peu d’égaux même à l’heure actuelle. Vous êtes un jeune scientifique. Ce soir d’orage vous êtes en pleine expérience d’accélération de particules. Et au moment où l’expérience est lancée, la foudre s’abat sur le dispositif et vous désintègre sur place. Je raconte mal, je sais. Mais graphiquement parlant, c’est sans aucun doute l'introduction qui m’a le plus marqué de toute ma vie de joueur. Surtout que la musique est absolument parfaite et colle à l’action comme un morpion à sa couille. Un grand moment.

Désintégré ? Pas tout à fait. Vous voilà matérialisé sur une planète inconnue et a priori remplie de bestioles franchement hostiles. Tout au long de l’aventure qui va s’offrir à vous, le jeu ne va vous laisser aucun répit. Vous êtes seul, vous êtes faible, et dans 3 minutes vous serez prisonnier. Votre seul but : survivre pour rentrer chez vous. Et ça c’est pas gagné…



Pourquoi aucun répit ? Parce que le jeu est scripté, scénarisé à mort, comme aucun avant lui. Suivant ce que vous faites à l’écran, il se déclenche tout un tas de réactions en chaîne auxquelles il faudra s’adapter… et VITE ! Des sauvegardes jalonnent heureusement le jeu sans quoi personne n’aurai jamais pu le finir. Scénariser un jeu en fait une expérience nerveuse et très immersive, mais à moins d’être hyper intuitif, vous allez mourir dans tous les pièges que vous aura tendu Eric Chahi avant d’apprendre à les déjouer. Ce qui n’est pas forcément un point négatif. En revanche l’énorme point positif de la chose c’est que l’immersion est totale. La musique fait aussi bien son boulot que dans l’intro, et l’univers est d’une cohésion très impressionnante. On se prend à rêver que l’auteur y est déjà allé tant tout ce qu’on observe sonne « juste » .

La maniabilité est jouissive et réglée au poil de cul ! Si vous plantez un saut soyez sûr que c’est de votre faute. Oui il est calculé au plus juste, mais ça passe. C’est ça la difficulté d’antan ! Et de ce point de vue là vous serez servis… Vos seules actions sont la course, les sauts et les coups. Après ça dépendra énormément de ce qui vous entoure et de ce que vous trouverez par terre.



Musicalement parlant je vous l’ai dit plus haut, c’est du très haut niveau. Vous serez incapable de chanter les mélodies après coup, mais plongé dans le jeu vous ne les entendrez même plus tant elles sont mélangées avec subtilité aux actions du héros. Une osmose rare qu’on ne rencontre habituellement qu’au cinéma.

Et c’est un peu ça en fait. AW pourrait très facilement remplir le rôle de chaînon manquant entre le jeu vidéo et le cinéma. Ne voyez surtout pas là une critique, mais plutôt la chance de pouvoir vivre quelque chose d’unique, et qui l’est resté plus de 10 après. AW vous prend par la main et vous entraîne dans une rêverie cauchemardesque où vous apprendrez très vite à défendre votre peau pour revoir votre planète. Si c’est encore vrai aujourd’hui, imaginez vous ce qu’on a pris en pleine face à l’époque… On a surtout eu conscience qu’un seul homme pouvait encore défier les monstrueuses boîtes à hits naissantes en imposant son génie sur les marchés du monde entier. AW sonne comme l’insulte d’un footballeur de division d’honneur qui vient de dribbler toute l’équipe du Real pour crucifier le gardien avec le coup du foulard. C’est beau, c’est grand, ça prend aux tripes.



Je ne vous dévoilerai pas plus le jeu ici, ce serait vous gâcher le plaisir de le découvrir. Car, et c’est son seul défaut, sa replay value est médiocre. Un peu comme un excellent film à suspens dont on connaîtrait déjà la fin, on ne se battra pas pour louer le dvd. Mais on se souviendra toujours de "sa première fois".

AW est donc une équation d’une simplicité affligeante : Immersion totale + scénario cinématographique + musique parfaitement adaptée + jouabilité hors pair + animation belle à pleurer = carton planétaire.

Sans oublier le fait que tous les aspects sus-cités sont pour la plupart totalement novateurs.

La seule inconnue qui hante encore bon nombre de joueurs et la quasi-totalité des développeurs actuels : Comment un homme seul a t’il pu réalisé cela ?



Pour la petite histoire c’est mon meilleur ami qui m’a appelé entre deux périodes de vacances scolaires (chose qui n’était jamais arrivée ou alors si rarement) pour me dire qu’il possédait un jeu d’une autre planète, et qu’il fallait absolument que je vois ça. Son conseil est toujours valable aujourd’hui. J’irai même plus loin aujourd’hui : ceux qui lisent mes tests savent quel amour je porte aux Mario et autres Zelda, et pourtant aussi difficile que soit cette décision, je vous conseillerai plutôt AW que Super Mario World ou Zelda3 si vous ne deviez jouer qu’à un jeu. Mario et Zelda sont la quintessence de ce qui se fait dans leurs domaines respectifs, mais ils ont des équivalents. AW est à part et ne ressemble à rien d’autre avant lui (et à pas grand chose après). Ce serait vraiment regrettable que vous passiez à côté d’une si belle expérience ludique.
Le point de vue de César Ramos :
Relativement commun, enfin pas introuvable, à un prix relativement abordable.