Ah, Batman Return of the Joker, encore un titre bien mythique de la NES ! En tout cas, il est mythique pour moi, c’était d’ailleurs un de mes jeux favoris de ma ludothèque en 1993, je l’aime d’un amour pur et tendre.
Mais pourquoi donc me sens-je si seul à conserver dans le cœur un sentiment si fort à l’égard de cette cartouche ? Franchement je ne vois pas. Pourtant, s’il ne fait pas partie de mon top indétrônable de la console, il figure sans le moindre doute dans mon équipe de titulaires à installer sur une Mini Nes par exemple (sous peu que des gens jouent encore à ce truc en 2023, mais bon, vous aurez saisi l’idée).
Preuve en est que cette passion n’est que modérément partagée, ce site référence qu’est [NES Pas ?] n’avait toujours pas de critique honorant ce merveilleux jeu alors là-même qu’il est entré dans sa vingtième année de présence sur la toile. Je m’insurge.
C’en est même rigolo que depuis tout ce temps que je rédige moi aussi des critiques pour le site, la tentation d’en pondre une pour ce Batman m’avait titillé à plusieurs reprises. Et pourtant non. Peut-être attendais-je que quelqu’un d’autre que moi ait vu la lumière et souhaite le dire avec ses mots (
id est les mêmes que les miens, mais en moins bien) ?
Alors qu’en fait non, tout aussi extraordinaire soit le jeu, la vérité se cache plutôt derrière une inquiétude vaguement dissimulée, comme un stage 3-1 et ses lanceurs de tornades par exemple. Je vais donc reformuler : peut-être attendais-je que quelqu’un de moins pleutre que moi veuille traverser à nouveau les différents tableaux (mais pour ce qui est de l’écriture et la qualité rédactionnelle, ç’aurait quand même été moins bien)
Elle est là, la vérité. Une attente de pas loin de quinze ans depuis mes débuts, tout de même, mais aucun candidat ne s’est encore déclaré. Alors que bon, on a sur la table une équation du type « Batman + Nes + Sunsoft = régalade totale » nom de dieu !
Mais voilà. Je suis prêt, LÀ, on y est. Et ce dès le prochain paragraphe. Je sens que je vais défaillir.
Commençons par les choses simples : quelles sont les qualités de ce jeu et pourquoi, trente ans plus tard, il brille toujours à mes yeux ? Pour ce faire, je vais donner la parole au petit Enker, dix ans : « Alors ce jeu il est trop bien parce que d’abord il est trop beau. Mes copains ils ont presque tous la Super Nintendo, alors que moi à la maison j’ai toujours la Nes, mais pourquoi avoir besoin d’une autre console alors que ce jeu il est aussi joli qu’un jeu de Super Nintendo ? Ah vraiment, pourquoi j’aurais besoin d’une Super Nintendo alors que mon jeu que personne ne connait est trop bien ? » (il doit manquer un « achevez-moi » à la fin)
Bon, évidemment, c’est un peu rustre comme propos, mais avec son argumentaire pas vraiment objectif, le petit Enker de dix ans désigne déjà un grand point fort de ce Return of the Joker : non mais regardez-moi ces graphismes ! D’accord, je n’ai plus dix ans pour m’extasier de la sorte et lancer des comparaisons osées, mais on tape ici dans la catégorie des plus belles réalisations de la console, le haut du panier, le gratin dauphinois de la Nes si le Dauphiné avait été une région japonaise (que l’on aurait donc appelé le Dophindô et dont le gratin, leur spécialité culinaire, aurait forcément été moins bon que le nôtre)
Nous disions donc que dans la catégorie graphique, notre petit protégé du jour affiche une forme olympique : les sprites maousses des différents protagonistes ainsi que l’environnement qui gravite autour et anime ce beau monde, c’est du travail d’orfèvre, assurément. Jetez donc un œil aux différentes captures, chaque sous-niveau propose un cadre différent, une nouvelle explosion de sens pour la rétine. On a l’impression que ce monde vit, qu’il a un souffle, qu’il a une âme. Et je pèse mes mots.
Autre chose ?
« Mais il n’est pas que trop beau ce jeu, il est aussi trop bien, il est d’ailleurs meilleur que l’autre Batman que tout le monde connait et dit qu’il est trop bien, alors que le mien personne ne le connait et c’est dommage ». Oui bon, c’est un peu court cette fois-ci jeune homme, l’argument ne tiendra pas. « Et les musiques sont trop bien », ah voilà, là on cause.
En même temps c’était difficile de présager que la bande-son serait qualitative, on a affaire à
un petit studio débutant,
sorti d’on ne sait où,
pas vraiment qualifié et
à l’expérience douteuse. Tu vois petit Enker de dix ans, ça, c’est ce qu’on appelle un sarcasme.
Lapalissade contextualisée : il suffit d’écrire Sunsoft sur l’écran pour garantir une bande-son aux petits oignons. Celle de Return of the Joker ne déroge pas à la règle, avec des compositions variées et toujours léchées, la patte maison quoi. Globalement, ce sont des thèmes qui tabassent pas mal, j’aime bien le côté un brin mélancolique du fameux stage 3-1 dont je parlais plus haut, et dont celui du premier niveau mérite de figurer sur toute bonne compilation oldies qui se mérite. Genre pour un rassemblement à Leucate en 2016 par exemple (le seul dont il n’y a pas de récapitulatif sur le site, évidemment)
Le petit Enker de dix ans n’a plus vraiment d’argument à faire valoir. C’est un peu court jeune homme, mais tu verras, ça va s’améliorer avec le temps. C’est aussi la limite des souvenirs, ils ne peuvent pas vraiment tout couvrir et laissent pas mal de zones d’ombre. Mais pas de panique ! Le grand Enker de presque quarante ans va reprendre la manette et expliquer pourquoi ce jeu est un grand parmi les grands. Eh bien tout d’abord je finis le jeu, et après je vous fais un compte-rendu que même mon moi du futur enviera…
« Et si ce jeu est bien, c’est aussi parce qu’on peut le finir et qu’il y a des mots de passe, et c’est bien parce qu’il est un peu dur quand même »
AH PUTAIN SA MÈRE. Voilà pourquoi il ne faut pas se fier à l’avis d’un gosse je vous jure, sauf s’il vous dit que le monsieur qui fait de la politique à la télé a un faux air de requin. « Un peu dur » ? Sérieusement ?
Alors non, je m’insurge, ce jeu n’est pas
un peu dur, il est vrai qu’on peut aller jusqu’à la séquence de fin. Mais cette maniabilité des enfers là, d’où elle sort ? Pour illustrer brièvement, imaginez réparer le revêtement percé d’une piscine avec une brosse à cheveux. Ca n’a pas de sens. Eh bien là non plus. Le super héros vengeur de la nuit, qui se déplace habituellement tout en furtivité et agilité pour surprendre ses adversaires sans faire le moindre bruit, a décidé de porter ses plus belles chaussures de ski pour toute l’aventure, tout en singeant la souplesse dont peut faire part une victime de la mafia au fond de la mer et les pieds dans le béton.
Il y a un mot dans mon dictionnaire qui résume tout ça : rigide. La maniabilité est rigide. Ce qui ne serait pas un trop gros problème s’il venait seul. Mais combiné à l’un des points forts du titre, ça donne quoi ?
De jolis sprites bien grands, oui, c’est très joli, mais la marge de manœuvre à l’écran est inversement proportionnelle. Et avec la fameuse maniabilité rigide en sus, ça donne quoi, mmmm ? Eh bien je vous le donne dans le mille, ça donne un gros merdier. Ni plus, ni moins. Ajoutons à cela une construction des niveaux assez peu inspirée, généralement tout en couloirs rectilignes horizontaux et avec la fâcheuse tendance de parsemer les écrans de vides mortels par-ci par-là : du bonheur ! Donnez-moi aussi quelques tireurs à distance suffisamment bien placés et voilà, là ça devient suffisamment contraignant pour vouloir insulter la maman des développeurs.
Plus haut je disais que le niveau 3-1 était un vilain souvenir, mais après y avoir rejoué, voici que le 5-1 (alias les égouts qui puent la merde) se fait une petite place dans la catégorie « saloperie de fils de pute ». Batman reste rigide dans ses mouvements, ça je l’ai déjà dit, en revanche je n’avais pas mentionné qu’à chaque choc reçu, il se fige brièvement. Et qui dit égouts dit aussi torrents d’eau, qui dit torrents d’eau dit courants contraires, et qui dit courants contraires dit petit ennemi à la con qui me touche près du bord d’un précipice et qui me voit sombrer malgré moi vers le game over. Horrible.
Bon là, j’explique peut-être mal, mais je suis encore sonné de tant de perversion. C’était avant que je ne tente une glissade pour neutraliser un sale chien de terroriste et finisse au fond du ravin.
Ca va que les niveaux sont courts et qu’il y a une multitude de mots de passe pour aller jusqu’au bout sereinement, sans quoi cette cartouche serait une gageure de plus. Mais même comme ça il faut être SOLIDE et SEREIN tant les situations pourtant anodines sont piégeuses. Il manque trois fois rien, comme des recharges d’énergie en guise de bonus (mais non, la devise ici c’est marche ou crève, plus crève que marche d’ailleurs), voire même un mouvement de protection avec la cape pour parer les projectiles des simples péons en appuyant sur la flèche du haut. A la place, Batman peut tirer dans cette direction, très bien, mais un peu d’audace que diable ! Pour ce mouvement précis, il faudra voir les aventures d’un
autre héros nocturne masqué, comme quoi c’était possible.
Mettons tout de même à l’actif de l’équipe de développement une certaine forme d’inventivité pour rompre la monotonie ambiante, tout d’abord avec des niveaux de forme shoot’em up qui n’apportent rien et se traversent eux aussi en moins de temps qu’il n’en faut pour fourrer la mère à [insérez le nom de qui vous voulez, Nashou par exemple] (dieu que cette blague est éculée, mais le respect des traditions avant tout)
L’arsenal de l’ami chauve-souris offre quant à lui plusieurs manières d’appréhender le jeu : si l’on commence avec une pétoire toute naze, on rencontre assez rapidement des items permettant de sélectionner une parmi quatre armes possibles, toutes ayant un effet de charge. C’est rigolo et on se plait à toutes les essayer pour voir, comme ça, pour le fun, pour ensuite revenir toujours à la même selon sa façon de jouer car les autres sont quand même un peu nazes (ne nous voilons pas la face, on prend tous la même : la flèche sans tir continu mais ô combien bourrine)
Sans oublier les duels face aux boss, avec leur interface dynamique, ça a un certain cachet et ça donne un peu plus d’identité et de caractère au jeu ! La mécanique de jeu reste la même que dans les niveaux standards, les situations passent parfois au poil de cul près et le succès peut se jouer à pile ou fesse (belle métaphore filée)
Bon, je dis ça comme si j’étais un souffre-douleur de tous les instants face toutes les embuches du jeu, mais je ne suis pas peu fier d’avoir trouvé une combine pour rouler sur le boss final en deux temps trois mouvements, technique que j’appelle sobrement « restons collé face au mur et profitons de l’effet de rebond du tir pour lui en mettre plein la gueule en continu ». C’est lâche, peut-être, mais ce résultat sans équivoque appelle en moi une forte montée de testostérone et montre à ce fichu jeu qu’un pad rectangulaire bien anguleux de NES, c’est aussi très bien pour casser des dents.
Pfiou, ça me donnerait presque le vertige tout ça ! « Mais c’est pas gentil ça, je l’aime ce jeu ! », et tu sais quoi ? Moi aussi. Ou plutôt j’éprouve pour lui une sympathie nostalgique dont tu es l’émanation, mon cher petit Enker de dix ans. Mais la réalité est que si Return of the Joker est un jeu d’action tout à fait correct, il est un médiocre jeu de plates-formes, et c’est bien cela qui est douloureux : à compter du moment où je le considère avec un regard détaché, en mettant de côté la fameuse nostalgie qui me berce, je ne peux que reconnaitre ces lacunes trop handicapantes et baisser les yeux d’impuissance.
Pendant vingt ans, personne n’en avait jamais proposé la moindre critique, et voilà qu’aujourd’hui je suis un homme brisé : belle interprétation de l’effet papillon, de grands dégâts causés par un bête Batman d’ailes.
« C’est compliqué ce que tu écris là, c’est ça être grand ? ». Non mon petit, ça s’appelle la compétence. Mais pour le coup, il y en a plein d’autres qui le seront plus et qui en parleront bien mieux que moi.
Parce que vois-tu, pour rédiger cette critique, j’ai aussi regardé quelques extraits sur Youtube, et j’ai l’impression que ces gens là ne jouent pas au même jeu que moi. Sans la moindre modestie, je crois avoir encore quelques beaux restes manette en main, mais voir des gus parcourir les différents niveaux du jeu avec l’aisance d’un as de la voltige malgré tout ce que j’ai pu écrire, ça me rend dingue. C’est quoi la prochaine étape ? Faire des triple lutz avec Simon Belmont ? Ou terminer Shadow Warriors sans se faire toucher ? Comment ? Ca a déjà été fait ? Putain, c’est plus des humains qu’on produit, c’est des machines…
Cessez de briser mes certitudes bordel.